" Veine rare et d’autant plus précieuse, Une barque pour Lesbos est un poème épique et polyphonique :les Syriens quittent leur Tr oie en flammes et tentent, au péril de leur vie, de rejoindre l’île de Lesbos où la poétesse Sappho, elle aussi contrainte à l’exil, accueille ses enfants naufragés. Né en 1956 à Damas et exilé à Londres depuis 1986, le grand poète syrien Nouri Al-Jarrah, ressuscitant les mythes grecs, fait entendre, dans cette épopée tragique et élégiaque traduite par un écrivain tunisien (dont un roman, L’impasse, paraît chez le même éditeur), les « voix » douloureuses de son peuple martyr : sur ses « tablettes » de sang, s’inscrivent les visages cuivrés de ses frères qui viennent mourir avecl’écume sur les plages de l’Occident aussi bien que « les
chagrins de Télémaque » ou « le regard de Pénélope » au départ de son « Ulysse » dont bientôt elle ne pourra plus lire que « les lettres ». Le poète engagé dénonce la terreur sanguinaire. Il lance un immense cri de détresse et de révolte devant l’enfant noyé, symbole de tous les naufragés. Il s’émeut de « la soif des jeunes femmes et la douleur de la voix ». Il pleure avec les siens le « petit verger brûlé à l’oasis […] de Damas ». Mais, au milieu du sang et des cris, ce témoin essentiel ne sombre pas dans le désespoir, ni dans la violence. Au contraire, le prophète désigne des « éclairs » à nos sombres fenêtres. Il nous exhorte tous, hôtes de cette terre, à nous lever pour construire une humanité solidaire."
Yves Leclair, revue Études