UNE PEINTURE DE HAUTE MEMOIRE
Les dernières oeuvres de Nizar Sabour sont très clairement inspirées des sculptures de Palmyre en Syrie.
L’artiste emboîte le pas à ses ancêtres. Sans souci de ressemblance, il fait ses portraits à partir de moules et les imprime en négatif.
Cette technique l’aide à poursuivre son objectif : « Comment le passé peut-il devenir futur ? »
Aurait-il trouvé une des portes du Temps par où il réveillerait le passé, enfoui, oublié ? Tout s’accomplirait-il soudain dans une réminiscence?
Depuis trente-cinq ans, Nizar Sabour insiste sur la trace de la forme ou de l’objet. Pour lui, la trace est plus importante que la forme, un verset du Nouveau Testament de la Bible nourrit sa démarche :« Les choses visibles n’ont qu’un temps mais les invisibles sont pour toujours ». II Corinthiens 4-18.
Comme tous les artistes depuis les origines de l’art, il essaie par la forme et la couleur d’affirmer le mystère de la vie. Sabour nous invite à un pèlerinage sur les traces archéologiques de Palmyre pour un approfondissement du sens de l’existence.
A Moscou où il a fait des études de philosophie de l’art, Sabour a eu cette intuition :« Je peux être ce que je suis sans avoir besoin de ressembler aux autres ». Il rejoignait la pensée de Kandinsky :« La liberté doit aller aussi loin que l’intuition de l’artiste le permet ».
Aujourd’hui, fort de sa liberté, le peintre syrien s’empare des figures de Palmyre vieilles de mille huit cent ans, immobiles, frontales, le regard fixe et étonné par le monde, comme dans les icônes qui ont su si bien dire le sacré.
Les tableaux de Nizar Sabour se retrouvent au rendez-vous secret entre l’archaïque et le moderne dont parle le philosophe Giorgio Agamben. L’idée de la métamorphose s’impose d’elle-même. Ses dernières œuvres traversent le Temps et le transforment dans l’acte créateur.
Impliqué dans son Histoire, l’artiste revitalise le passé et fait surgir l’éternité.
Par des touches colorées, il compose. La force des contrastes crée des ambiances différente. Dans un geste répété, il entraîne l’œil du spectateur dans un mouvement dynamique, tentant de simplifier le tableau jusqu’à ce qu’il devienne un texte visuel, comme une miniature contemporaine.
Chez lui, la couleur est aussi frontière, elle permet le passage du monde des morts à celui des vivants, du passé au présent et même au futur, du peintre au spectateur, de l’espace de la toile à son environnement.
La contemporanéité de l’artiste se situe dans ces passages conscients d’un monde à un autre, au moyen de la couleur, de la matière - sable, cendre et charbon – et de la lumière. « Le contemporain serait-il la résultante de ces deux limites, l’inactuel pour assurer l’avenir ? » se demande l’historien Maurice Olender. Avec beaucoup d’autres peintres, Nizar Sabour répond que ce qui est contemporain c’est ce que l’on fait vivre.
Peintre du temps, à la fois enraciné et libre, et même libre parce qu’enraciné,
Nizar Sabour s’inscrit d’emblée dans une chair et une lignée. Son écriture plastique, poétique grave et silencieuse, déroule le fil de l’art ancien de Palmyre.
Un des rôles de l’art n’est-il pas d’ouvrir une éternité ? Nizar Sabour y réussit par la percussion des temps. En réconciliant les mémoires, en mettant ensemble des temps qui paraissent impossibles, il fait oeuvre de philosophe.
Le peintre accepte d’avancer là où il n’y a pas de route.
Septembre 2010
Annick Chantrel Leluc
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