Simone Fattal sculpte la terre. La figure humaine constitue le thème principal de son oeuvre, « j’ai une idée, dit-elle, qui ne s’énonce pas en une seule fois », la terre c’est la vie, la matière dans laquelle les hommes ont été façonnés. Elle utilise une argile et une terre à feu chamottée pour la texture grossière et le « nerf » nécessaire au maintien des grandes pièces. Son geste d’artiste, requise par la sculpture, ôter pour construire, demeure immuable. Elle reste saisie d’émerveillement devant la force agissante du feu de bois qui anime la matière d’une charge humaine. Intensité de la métamorphose. Matité des corps calcinés recouverts de poussières d’ocres brunes et de terres d’ombre aux tonalités chaudes.
Personnages au modelage trituré, nus, solitaires, parfois en couple. Figures plates aux allures primitives, sans recherche d’esthétique ni de réel. Une tête esquissée, ou deux têtes en silhouettes pour souligner l’aspect cinétique, parfois des bras, toujours des jambes de géant en marche dans un léger déséquilibre d’un dramatisme poignant.
Les hommes et les femmes se dressent comme les colonnes creuses d’un temple. Témoins, guerriers, debout comme des arbres. Simone Fattal revitalise ce qui a été déclaré mort, ainsi Zhat el Himma, gardienne des frontières sous l’empire byzantin, sentinelle d’une épopée des mille et une nuits. En arabe, la himma signifie l’ardeur, la résolution, la volonté, l’énergie par laquelle l’esprit s’exprime. La himma, Simone en a fait sa posture de travail.
Dans un jeu mystérieux de réminiscences, dès que ses mains se posent sur la terre, l’archéologie sumérienne et assyrienne les habite ; le héros Gilgamesh, la déesse Ishtar et avec eux Ulysse et les mythes de la Grèce antique deviennent maîtres du sens de ses sculptures. Archétypes archaïques, les personnages ne sont pas individualisés. Des années auparavant, un autre sculpteur, Antoine Bourdelle, anticipait : l’archaïque est…l’ennemi du mensonge-né…qui change le marbre en cadavres. L’archaïque n’est pas naïf, l’archaïque n’est pas fruste : l’archaïque est le plus pénétré et le seul harmonisé à l’universel.
|
|
Elle est celle qui met les personnages mythiques en marche. Antiquité et temps contemporain se rejoignent comme si les morts revenaient se battre ici et maintenant. Le temps linéaire est inerte, mais lorsque le passé se soude au présent par un retour aux sources historiques…le réel, troublant, se coule…dans une dialectique qui n’en finit pas de faire le siège de nos consciences écrit Gérard Xuriguera. Éloignée de Damas, paradis perdu de son enfance, éloignée de Beyrouth par la guerre civile, l’artiste est sans cesse ramenée à un présent où elle n’est pas mais aussi où elle a toujours été.
Dans la maison abandonnée, une femme en terre cuite est assise sur du marbre blanc ; l’impérissable s’oppose au périssable. Le corps puissant est en creux. On guette une forme corporelle convexe et le sculpteur place une forme concave. À cet endroit-là, Fattal se place dans la parenté formelle d’Henry Moore, la forme plastique est rendue perceptible par sa matrice. Dans le creux de l’attente, rapport concave au temps, elle rend vie à des formes qui semblaient vidées. Simone Fattal s’affirme sculpteur de la légende de l’homme. Elle répond à notre soif d’un primitif moderne, au besoin de recommencer aujourd’hui la création de l’être humain.
Le philosophe contemporain Giorgio Agamben révèle qu’entre l’archaïsme et le moderne il y a un rendezvous
secret ; parce que la clé du moderne est cachée dans l’immémorial et le préhistorique…L’avant-garde recherche le primitif et l’archaïque…la voie d’accès au présent a nécessairement la forme d’une archéologie.
Annick Chantrel Leluc, historienne de l'art, décembre 2009
|
