DE SABLE ET DE SOIE
Au commencement de la quête artistique d’Elisabeth Lemaigre-Voreaux, la pierre et le textile vont de pair ; une de ses premières créations s’intitule Textile de Pierre. Entre mosaïque et patchwork, elle taille les tesselles et découpe les bandes de tissu qu’elle coud à la machine et rebrode à la main. Les robes, secondes peaux d’un moment, côtoient les tableaux de sable.
Puis vient la somme des reliefs délaissés du grand banquet de la vie moderne. L’artiste fouille, ramasse, collectionne les objets jetés ou abandonnés. « Dans une autre vie, j’aurais pu être archéologue » reconnaît-elle.
Peintre abstraite, Elisabeth Lemaigre-Voreaux, ne raconte pas d’histoire, le matériau a la sienne propre, il résiste, parfois ne livre rien, en tout état de cause c’est lui qui dirige : « Le fragment c’est toute une histoire. Je préserve ce qui a eu une autre vie pour que la mémoire ne s’efface pas ».
Mémoires usées dans la présence absence des fragments.
Entre les doigts de l’artiste, le matériau brut se métamorphose, l’or caresse la rouille. Les rebuts sont magnifiés. Le tissu devient limaille et la limaille devient tissage. La toile pliée, teintée, brûlée, collée, figure un texte sacré, une épître.
Elisabeth Lemaigre-Voreaux élève le fragment au rang de symbole. Elle déclare : « Aujourd’hui, je suis dans l’art sacré ». Le sacré en tant que révélation du réel.
Elle retient de son éducation chrétienne la force du silence et de la méditation. Ses origines haïtiennes resurgissent à travers le vaudou, alors qu’elle s’en croyait détachée. Les Pièces Barbares, apparues après son dernier voyage en Afrique, et les poupées fétiches, véritables incantations, jettent des ponts entre les mondes, les esprits se brisent sur les brisures du miroir.
Chair obscure de l’encre - poèmes offerts, comme ceux de Rimbaud et de Verlaine qu’adolescente, elle copiait et récitait.
Fascinée par l’imagerie et les croyances populaires, elle vient de terminer la série des reliquaires pour l’événement des ostensions du Limousin, et la série des croix baroques.
La croix est signe vertical du spirituel et signe horizontal du quotidien. Mais pour l’artiste, la croix est aussi le point de broderie et le fil qui suture la plaie du blessé.
Fille de médecin, mariée à un médecin, elle travaille comme elle soignerait un corps. Elle panse, oint et recoud. Sa main d’artiste, saisie d’une singulière impulsion, s’active avec une extrême et lente minutie. Elle ferme et ouvre les lèvres déchirées des tissus ; la matière, dans des tonalités beiges rosées, balayée de bleus cendrés et de transparences, émaillée de cicatrices devient chair - chair coupée et chair brûlée, chair scarifiée.
Consciente de l’importance de son geste, elle le détaille à plaisir: « J’encastre, je fixe, je couds, je joins, je rapproche, j’infiltre des encres, je brûle, j’utilise les accrocs. Je ponce, je déchire, je teins, je découpe. Je suture ».
En incorporant des objets concrets, elle signifie son ancrage dans le réel. Son goût de l’expérimentation l’incite à utiliser des matériaux insolites - ciment moulé, fibre d’écorce, grosses toiles et papier cousus, pâte à papier cimentée.
L’écrivain Carole Martinez illustre d’un bel écho littéraire son oeuvre : Un dernier nuage de couleur, soufflé par l’artiste meurtri, ouvrit la toile en deux, la déchira comme un ventre et le tableau prit vie.
L’art d’Elisabeth Lemaigre-Voreaux livre des créations peuplées d’icônes allusives. Elles s’inscrivent dans la mouvance de l’écriture tragique du catalan Antoni Tàpies qui affirme : « Etre artiste consiste à établir un rapport entre des choses matérielles qui établissent elles-mêmes un rapport avec les choses spirituelles ».
Annick Chantrel Leluc Octobre 2010 |
